Sur la pointe des pieds


Je me réveille
le vent fait
plus de bruit que
ta respiration
et la faim du chat
cumulées
Je veille un moment
sur les onomatopées
du silence
et décide de retourner
sur la pointe des pieds
dans un rêve

Le chien qui ne bouge plus



J'ai vu ce chien
affalé sur le bitume
Une pierre pleine de poils
les yeux dirigés vers
le ciel
Je l'ai contourné
et dans son oeil
il m'a semblé voir
une armée de chats
se fendre la poire
Cent mètres plus loin
j'ai compris
que mourir
comme un chien
c'était garder au fond des yeux
un peu de haine
pour les ennemis
qui passent

Là où on va en sourire


Il n'y a pas deux façons
d'aller là-bas
qu'elle lui a dit
Une seule façon
et plusieurs sourires
Il n'est possible d'y aller
qu'entre mes bras
et pour ça il faudra
d'abord
que tu me montres
tes dents

L'aube est une carte aux trésors


Dans une obscurité
largement entamée
par le jour
l’œil d'une biche
scintille au bord
de la route
enflamme
les restes d'un
ridicule bout de nuit
Ma voiture passe
la biche détale
emportant avec elle
quelques trésors
de l'aube
croupir
sous les paupières
d'un champs

Parution - L'Ampoule n°2 - décembre 2011


Au sommaire de l’Ampoule n°2 sur le thème de l’Art et du Danger, 103 pages et 16 textes mettant l’accent sur les nouvelles inédites, sombres et étranges, avec les participations de Georgie de Saint-Maur, Marianne Desroziers, Sébastien Ayreault, Rip, Antonella Fiori, Guillaume Siaudeau, Vlad Oberhausen, Sylvain Moeckx, Philippe Sarr, Catherine Bécam, Christian Jannone, Pierre-Axel Tourmente, Michel Gros Dumaine, Alexandre Solutricine et Paul Jullien ― le tout illustré avec talent par Shin, Marlène Tissot et Guillaume Gasnot.

Toutes les infos ICI !

Sous tes paupières usées *


Je suis le jour qui se lève, tu ne vois plus que moi. J'emporte au passage l'échec des animaux et leurs plaintes stomacales. Je file entre les arbres, tu n'entends plus que moi. Le fil d'Ariane d'une journée brumeuse. Mes ailes pleines de rosée, ma gueule un horizon. Je suis le jour qui se lève et tu ne vois plus que moi. Je fous des roustes à la nuit. Lui lustre les heures perdues. Lui fouette le postérieur. Fais de ses ombres des éclats d'espoirs dans le ciel gris. Tu distingues à présent des renards, des lapins, des biches, qui rentrent au bercail du sang sur les poils et la peur dans les yeux. Une armée de sauvages les pattes graissées de boue, et la haine dans les flancs. Des crocs pas assez blancs pour tuer, et trop menus pour mordre un jour naissant. Ce même jour naissant toujours devant tes yeux. Au loin une voiture gronde et mêle sa fumée au bitume. La toux rauque d'un vieillard rebondit sur les plaines. Au loin les cris des animaux ressemblent à des comptines, tu dors toujours et tes oreilles se chargent. Écoute le vent violer les herbes hautes. S'attaquer aux pivoines et cracher sur les sauges. Tu ne penses plus à demain. Demain est ce matin, ce jour qui n'en finit pas de luire et de tuer les témoins. Entends tout cela. Enivre tes tympans des longs bruits buissonniers. Fais de ton ouïe un gouffre, que les vacarmes envahissent en y jetant leurs cordes. L'horizon se précise, une ligne bien définie. Entre la confiture du ciel et la mélasse des champs. Les sens à l'affût du rapace qui rentre au nid bredouille. La rage de ses petits. La peine au bout du bec. Le souvenir des asticots flottant dans les fraîches charognes. La pluie fine sur tes lèvres, sur tes paupières usées, sur la terre des sentiers qu'on déconstruit chaque jour. La pluie sur tes cheveux et bientôt la rivière, qui coule en cascade le long de tes joues roses. Le fracas des gouttes sur les poteaux de clôture, sur les racines émergées, la horde des gouttes sur l'ondulante colline. Tu m'entends toujours. Écoute-moi une dernière fois. Maintenant tu vas te réveiller, tranquillement, la fraîcheur du matin est une bassine d'eau fraîche. Tu reviens à toi. Tes rêves en bandoulière autour du cou de la nuit. Les choses que tu as touchées collées au bout des doigts. Tes paupières deviennent moins lourdes. Tu reprends petit à petit contact avec la réalité. Tu ne vois plus que moi. Tu distingues tout autour. Tu reviens parmi nous. J'espère que ça t'a plu. Demain si tu veux, nous retournerons là où il ne suffit pas d'avoir les clés pour ouvrir toutes les portes. On recommencera. Plus longtemps. Et le jour naissant prendra les traits d'une année, d'un siècle, ou d'une éternité.

* Texte paru il y a quelques temps dans la revue La Femelle du Requin n°36

Chien et pain


Je le vois souvent
acheter son pain
ou promener son chien
Il tient sa laisse
comme la boule dorée du boulanger
avec une très légère précaution
avec la peur que
ce qu'il a dans la main
ne finisse en tranche
sur le trottoir

Jardinier privé


Voilà plusieurs heures
que je regarde le soleil
lustrer
bichonner
prendre du recul
pour apprécier son travail
puis se remettre à la tâche
pour tailler
juste comme il faut
le poil dans ma main

Cerises sur le gâteau


Elle avait fait
un énorme gâteau
l'avait déposé
sous le cerisier
et certaines cerises
en tombant
rendaient sa journée
meilleure

Celui qui revient de loin


Sur le quai
de la gare
cette valise dodue
qui semble vouloir
aller très loin
et ce petit balluchon
dégonflé
qui en revient

Confidence d'auriculaire


Mon petit doigt
me dit que
mon nez est vide

Houston ?


Il lui a dit
tu sais
pour chaque oiseau
qui s'envole
il y a un rêve
qui atterrit
Elle lui a répondu
que chez elle
les pannes de moteur
étaient fréquentes
et qu'il y avait toujours
un cauchemar
pour s'éjecter
du rêve
avant qu'il s'écrase

Mauvaise répartition des poids


Un ventre vide
et un cœur gros
peuvent faire basculer
un homme

Encore un peu d'jus ?


Des mots qui relèvent le Jus de bouche 
à lire ce matin chez Le Grognard.
Merci Stéphane !

Les missions sacrées


Je comprends tout à fait
que le soleil ait ses groupies
et j'admire volontiers
la façon dont
dans sa mégalomanie
toute lumineuse
il vous bichonne
vous écarte la bouche
et vous caresse la peau
Grand bien vous fasse
Mais aujourd'hui
cela m'arrangerait
si vous me laissiez
vaquer à mes occupations
sans essayer
de m'éblouir
ni m'inciter
à rejoindre votre cause
car voyez-vous
j'ai pour ma part
des trombes d'eau
à accompagner des yeux
jusqu'à ce soir

Nécrologie - Plif et Plouf


M'a été confiée la terrible tâche de vous apprendre 
la disparition du célèbre couple Plif et Plouf...
C'est à lire ce matin chez Le Grand Bazart.

Wouiiiiiiiiiiiii paf !

© photo : Harry Goodwin

Ce poème
avait commencé
comme un grand
solo de guitare
puis j'ai pété
une corde

Rouge - FPDV


Une contribution au thème "Rouge" est à lire chez FPDV.

Nuit myrtide a des nouveaux caddies


Vous pouvez désormais acheter les bouquins des éditions Nuit Myrtide directement en ligne.
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Barre-toi comme tu peux


Impossible de sauter
à pieds joints
dans les nuages
Pas non plus
la peine d'essayer
d'éclabousser
les rues grises
Au mieux
fais de tes yeux
deux poux
dans la crinière du ciel

La libido des montagnes


Il scrute les sommets enneigés. Ce matin il jurerait que quelqu'un a titillé les cimes jusqu'à ce qu'elles deviennent blanches. Il se demande qui peut bien être l'auteur d'une caresse aussi délicate. Lui a eu les mains dans les poches toute la nuit et ne connaît pas de paluche assez grande pour satisfaire la libido d'une montagne. Après tout, peut-être que pour une fois, le ciel n'y est pas pour rien dans cette histoire.

Poisson frais

© photo : Paul Himmel

La neige
et le bitume
quand ils s'embrassent
font le bruit de
deux carpes
éperdument amoureuses

Sans casser le jaune


L’œuf sur le plat
crépite dans la poêle
Il a pris garde de
ne pas laisser tomber
de coquilles
et maintenant il veille
à ce que le jaune
reste intact
Au fond du couloir
il l'entend prendre sa douche
Il lui reste quelques minutes
pour peaufiner
l’œuf sur le plat parfait
Il ne veut pas la décevoir
une fois de plus
En ce moment leur relation
est aussi fragile
qu'un œuf sur le plat

Un peu de salive


Merci à Marianne Desroziers d'avoir goûté au Jus de bouche, 
et d'en avoir laissé quelques traces sur Le Pandémonium Littéraire.

L'homme aussi se mord la queue


D'abord il rampe
puis le voilà qui sautille
Ensuite il vient à courir
et les traces de ses pas hâtifs
construisent un labyrinthe
Un jour il devient
ce vieillard
qui se remet à ramper
après ce qu'il était

Pacte avec le mauvais temps


Marché conclu
avec la grisaille
Aujourd'hui je serai
un fauve végétarien
dans les choux

Nos plus belles révolutions ont la tête blonde


Au fond
de chaque homme
un enfant impitoyable
se bat
contre l'ennui

Rien à cirer


Ce petit cafard
qui rampe 
dans nos caboches
lorsque la solitude
est un parquet ciré
qu'on n'astique plus

Poumons d'araignée


Il aurait été si simple
de conclure cette vaisselle
normalement
sans cette araignée
piégée dans le tourbillon
de l'évier
ni cette interrogation
accrochée à ses pattes
qui susurre
Combien de millièmes
de centilitres d'eau
trouvent leur place
dans les poumons
d'une araignée
quand elle se noie ?

Horizon bienveillant


Parfois l'horizon
ferme les yeux
sur nos banalités

À ne pas mettre le nez dehors


Reste au chaud
bien planqué
Confie tes mains
aux flammes
et apprivoise
les frissons
Il ne fait jamais
bon sortir
quand le vent cherche
des cous
à mordre
et des nez
à sucer

Oxygène de paille

© photo : Doug Aitken

Il me faut souligner
le formidable travail
de taxidermie
effectué par
certaines journées
aux heures retorses
qui minutieusement
me remplissent d'oxygène
avant de
me laisser de marbre
prendre la poussière
sur le canapé

Nos œillères


Il y a
autant de façons
de voir les choses
que de
ne pas les voir

Le cadeau du cadeau


Cette fille était
un vrai cadeau
mais il n'a jamais
eu le cran
Il s'est
toujours demandé
quel genre de cadeau
on pouvait bien offrir
à un cadeau

L'odeur de l'autre côté du pont


Cette journée avait bien commencé. Il s'était levé à l'heure, avait enlevé la feuille du calendrier, et fait bouillir son café. Il s'était ensuite rendu dans la salle de bain, pour s'y brosser les dents, le dos, et dessiner une tête bizarre sur la buée de la glace. Puis il avait enfilé son manteau, ses gants, et son bonnet. Il était sorti et le vent gueulait des trucs qu'il n'avait pas compris. Une histoire de grand froid et de gerçures aux lèvres. Il s'était dit que si toutes les journées s'arrêtaient là, juste avant de monter dans sa voiture pour aller travailler, elles finiraient toutes aussi bien qu'elles avaient commencé. Mais à chaque fois, il ne pouvait s'empêcher de monter dans sa vieille bagnole. Alors il essuyait l'intérieur du pare-brise avec ses gants, et partait en trombe vers l'autre côté de la ville. Après tout, ce n'était pas si horrible que ça. Il ne lui fallait que 12 minutes, le temps de trois chansons à la radio et d'une cigarette et demi, pour rejoindre la merde épaisse qui l'attendait impatiemment de l'autre côté du pont.

Bulbe de foule


Le vent promène
un homme
qui promène
son chien
qui promène
une puce
qui promène
ses petits
et la rue déserte
soudainement
se remplit

Sourires glacés


Elle se force
à sourire
comme si
elle ressortait
un vieux sourire
ayant déjà servi
Comme si
à une époque
elle avait fait
tout un stock
de sourires
et qu'elle venait
tout juste
d'en décongeler un

Le début de la faim


Ce biscuit rassis
sur la table
de la cuisine
Un survol de moucherons
Quelques attaques
de miettes
Le poids de la salive
en bordure de mes lèvres
L'infini flottement
de la poussière
qu'il va falloir traverser
avant d'entrer
dans la bataille

Bouffer la hiérarchie


Un chien
son os
ses dents
qui liment
le petit bloc blanc
qui peinent
qui abandonnent
qui se résignent
à attendre
la chair fraîche
du maître

Comme dans les films


Il arrive que
les nuits soient longues
mal jouées
bégayantes
nous laissant nos malaises
faire des nœuds
avec nos muscles
Puis le jour arrive enfin
et le soleil se faufile
entre les nuages
l'air de dire
"Écartez-vous
je suis médecin"

Se manquer de peu


Une fois de plus
il est tombé de haut
Peut-être qu'il n'avait pas
d'atomes assez crochus
peut-être que fatalement
ses sentiments
finissent toujours
par glisser
Pourtant cette fois-ci
il ne lui manquait
pas grand chose
pour qu'il se rattrape
aux lèvres
de cette fille

Bien perchés


Une vie libérée
des éclairages artificiels
Ni trop bas
ni trop haut
à hauteur
d'oiseau fatigué
Sur le fil
Entre deux eaux
La crème du vertige
L'essence du vide
Une vie
juste au-dessus
des lampadaires

Passe-moi le sel


Grignote
engloutis
dévore
partage
Le temps est un
poulet rôti
qui baigne
dans ton jus

Partage de temps

© photo : Justin Guariglia

Tous ces oiseaux
sur le fil
et elle toute seule
sur son balcon
Tous ces becs
plantés dans le vide
et ses lèvres à elle
encerclées
par le froid
Elle abrège ses soupirs
maintenant qu'elle sait
que le temps
ne se partage pas
équitablement
et que certaines secondes
donnent tout leur pouvoir
à la solitude

Mottes de beurre


L'hiver aiguise
ses nuages gris
affute
ses températures
redresse le fil
de l'horizon
Bientôt il deviendra
une lame
et nous
des mottes de beurre

Mauvaise idée

© photo : Tero Maaniemi

Elle dresse
la liste des choses
qu'il lui reste
à ne surtout pas faire
Elle hésite sur
un truc
Se dit qu'elle pourrait bien
se passer
de ne pas le faire
Brique d'idée
par brique d'idée
elle se convainc
et saute dans sa voiture
À cette période
de l'année
l'eau du lac est glacée
mais son corps nu
en a vu d'autres

Ne faites pas ça chez vous *


* Attention, ce poème a été réalisé par un professionnel.

Pris au piège


Surpris
par son regard
désarmé
par son sourire
enfin attaché à
quelqu'un

Contre-poids


Le ventre vide
et le cœur gros
son déséquilibre
organique
son penchant pour
le caniveau
cette manière liquide
qu'il a de 
se relever

Terminus


Il l'a prise en stop
Elle était assez jolie
D'une beauté
qui n'éblouit pas
mais qui fait
le travail
qu'on lui demande
Il n'a pas su
quoi lui dire
Il a regardé ses cuisses
ses mains
et ses cuisses
Quand il l'a déposée
30 kilomètres
plus loin
le vide s'est engouffré
dans sa petite bagnole
comme s'il venait
de déposer
tous les passagers
d'un bus
au milieu de la nuit
avant de rentrer se coucher
seul